8 novembre 2019
Photo de Sandrine Goeyvaerts – Crédit : Debby Termonia
Caviste en Belgique, Sandrine Goeyvaerts est à l’origine de la création de l’association « Women do Wine » qui réunit des femmes qui travaillent dans le milieu traditionnellement masculin du vin. Passionnée d’écriture et de littérature, Sandrine tient également depuis 2013 la Pinardothèque, un des seuls blogs féministes sur le vin, et vient de publier son premier livre, Vigneronnes – 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France, aux éditions Nouriturfu.
Femmes invisibilisées, clichés persistants sur le prétendu goût féminin pour les vins légers, manque de confiance des femmes dans le choix des vins puisqu’on leur renvoie encore souvent l’idée qu’elles n’y connaissent rien, mais aussi parcours étonnants de femmes qui ont réussi à s’imposer dans le milieu du vin et développement d’une vraie sororité… Nous avons parlé de tous ces sujets passionnants avec Sandrine dont le livre permet de faire entendre les voix de femmes fortes et passionnées.
Sandrine, toutes tes activités sont aujourd’hui liées au vin. Quel est ton parcours ? As-tu toujours voulu travailler dans le domaine du vin ?
Non. On m’a tout d’abord poussée vers des études littéraires parce que j’ai toujours aimé à la fois lire et écrire. J’ai donc en toute logique suivi une filière littéraire, appris le latin et le grec, avant de me diriger à l’université vers la philologie romane. Ça a été un désenchantement total, parce que je me suis retrouvée dans un endroit où je ne me sentais bizarrement pas à ma place, et ce moment a coïncidé avec une rencontre avec un beau grand jeune homme aux yeux verts qui avait une bouteille de vin sous le bras et m’a fait découvrir le vin. Je ne viens pas du tout d’une famille d’amateurs de vins ou de vignerons et, même si j’avais un intérêt pour la gastronomie depuis que j’étais petite, je n’avais pas eu de mentor ou d’initiateur autour de moi.
Ces études qui ne me correspondaient pas et cette rencontre ont fait que je me suis beaucoup remise en question l’année de mes 18 ans. Je me suis alors dit que ce que je voulais faire c’était le vin, car ça me permettrait de découvrir un aspect gustatif et gastronomique mais aussi de l’histoire, de la culture et de la littérature car il y a énormément de choses autour du vin. J’ai donc repris des études d’hôtellerie et j’ai suivi une spécialisation en sommellerie. J’ai travaillé comme sommelière quelque temps, puis un peu en grande surface en tant que chef de rayon boissons, avant de m’établir comme caviste en Belgique il y a une dizaine d’années.
Tu décides de faire bouger les lignes en lançant sur Twitter en 2017 le hashtag #WomenDoWine. « Women Do Wine » est depuis devenue une association avec une première rencontre des femmes du vin qui s’est tenue à la Bellevilloise en juin dernier. Peux-tu m’en parler ?
Parallèlement à mon métier de caviste, j’ai toujours écrit et j’ai donc en toute logique ouvert un blog en 2013. Ce blog a été distingué en 2014 par la Revue du vin de France comme le blog de l’année, parmi des prix récompensant des personnalités du vignoble et de la vigne. Je suis allée recevoir mon prix au Bristol et quand je suis arrivée j’ai découvert que les prix s’intitulaient « les hommes de l’année ». Sur scène, nous étions 2 femmes sur 15 ou 16 primés, ce qui était peu. Dans l’assemblée, il y avait énormément d’hommes et très peu de femmes hormis des épouses de vignerons. J’étais étonnée et je me suis rendu compte que, malgré le fait que moi je fréquentais au quotidien beaucoup de femmes dans mon métier, à la fois des cavistes, des sommelières et des vigneronnes, on en trouvait peu dans les prix.
« Je pense que c’est le fait de nous relier entre nous qui permettra de nous rendre plus visibles aux médias et au public. »
Cette première prise de conscience m’a donné envie d’examiner comment on communiquait sur les femmes dans le monde du vin et j’ai constaté que quand on les présentait dans les médias c’était souvent d’une manière hypersexualisée et parfois infantilisante. J’ai aussi observé que, si elles existaient dans le monde du vin, elles accédaient assez peu à des palmarès, à des récompenses. L’idée de créer une association a donc germé à ce moment-là, avec la volonté d’être le plus inclusive possible et de réunir tous les métiers du vin, de mêler des vigneronnes, des cavistes, des sommelières, des œnologues, parce que je pense que c’est le fait de nous relier entre nous qui permettra de nous rendre plus visibles aux médias et au public. Je voyais aussi cette association comme une espèce de club qui existe très peu au féminin, alors qu’on trouve des boys clubs dans tous les métiers possibles et imaginables. Je pensais que c’était vraiment quelque chose de très important de pouvoir créer un réseau féminin d’entraide, de discussion, de rencontre, et un espace bienveillant.
Vigneronnes, cavistes, sommelières, œnologues, journalistes spécialisées… le nombre de femmes présentes dans le milieu du vin a récemment augmenté. Reste-t-il difficile de s’imposer dans ce milieu traditionnellement masculin ?
Ça dépend des vécus des femmes et des générations, c’est assez difficile de tirer des enseignements généraux. Comme dans beaucoup de métiers, ça reste plus compliqué pour une femme de s’imposer que pour un homme, pour des raisons économiques, sociales, d’éducation. Mais plus les générations avancent, plus les choses s’améliorent. Aujourd’hui, les jeunes vigneronnes n’hésitent plus à se proclamer chefs d’entreprise, elles ne se cachent plus derrière un homme pour ça. Elles sont beaucoup plus conscientes aussi que rester dans des statuts d’aidantes les précarise beaucoup. C’est ce qui s’est passé pendant très longtemps, les femmes travaillaient mais elles n’avaient pas de statut ou seulement des demi-statuts, ce qui signifiait qu’en cas de séparation ou de décès elles n’étaient vraiment pas protégées. Les plus jeunes générations se protègent davantage car il y a eu une prise de conscience. Il y a encore beaucoup de choses à combattre car la mentalité dans le monde du vin reste assez empreinte de sexisme, comme dans nombre de métiers techniques et dans plein de milieux, mais on va tout doucement vers le mieux.
Tu as publié en août dernier Vigneronnes – 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France (éditions Nouriturfu) dans lequel tu racontes les parcours étonnants de femmes qui ont réussi à s’imposer dans le milieu du vin. Qu’est-ce qui te tenait à cœur en écrivant ce livre ?
Même si je n’en présente que 100, je voulais vraiment faire un livre qui soit dédié à toutes les vigneronnes. Je voulais monter que la diversité des parcours et des voix des femmes vigneronnes était importante, qu’il n’y avait pas d’archétype. Il y a vraiment plein de façons différentes de créer son domaine, d’en hériter, de le maintenir. Au-delà de la description de ces 100 femmes-là, mon idée était donc de montrer le champ des possibles pour donner l’exemple aux plus jeunes qui auraient envie de se lancer dans des carrières et pour ouvrir les yeux du public sur le fait que les femmes ne produisent pas des vins féminins mais produisent des vins tout court. C’est très compliqué de dire à l’aveugle si un vin a été fait par un homme ou une femme car les productions sont extrêmement diversifiées.
« Je voulais monter que la diversité des parcours et des voix des femmes vigneronnes était importante, qu’il n’y avait pas d’archétype. »
J’avais vraiment envie de redonner une place de légitimité et de qualité à toutes ces femmes. C’est évidemment un livre militant, féministe, c’est dans son ADN, mais je voulais qu’il le soit plus par l’exemple que par l’exposé d’arguments, même s’il y a évidemment toute une partie introductive dans laquelle j’explique la genèse du livre, l’histoire des femmes dans le monde du vin et la manière dont elles ont peu à peu réussi à se réapproprier du terrain. Je trouvais que c’était pertinent d’amener, par tous ces parcours différents, une vision plus globale de ce que peut être la vie d’une vigneronne aujourd’hui.
Les clichés autour du vin et des femmes ne concernent pas seulement les femmes travaillant dans ce milieu mais également les consommatrices. On préférerait les vins légers, on n’y connaîtrait rien… Ces clichés ont-ils encore la vie dure ?
Oui, moi je les croise tout le temps car en étant caviste je suis au contact des gens. Et c’est vrai qu’il y a encore beaucoup de gens qui me disent : « J’aimerais du vin pour ce soir mais attention c’est pour des femmes donc il va me falloir un truc léger ou sucré ». Il y a encore énormément de clichés sur le goût féminin, alors que je pense vraiment que le goût est une construction sociale. C’est par exemple parce qu’on éduque les filles à faire attention à leur ligne qu’elles vont se diriger vers certains aliments, alors qu’il n’y a pas plus de raisons qu’une femme n’aime pas les entrecôtes qu’un homme préfère la salade. La question du goût est très complexe parce qu’il ne s’agit pas juste d’une question de préférences personnelles, mais aussi d’une question d’éducation avec tout un poids social derrière. C’est intéressant et important de déconstruire tous ces clichés. Les femmes se font souvent peu confiance sur leur propre goût mais aussi sur leur légitimité à acheter du vin, alors qu’en réalité ce sont très souvent elles qui le font. Il faut redonner confiance aux femmes, leur dire que leurs goûts sont légitimes et qu’elles ont le droit de préférer des vins rouges très tanniques ou des vins doux et des vins rosés. L’important c’est de se faire plaisir et de ne pas se restreindre.
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Dans le monde du vin, je suis assez fan de Michèle Aubery qui a le domaine de vins naturels Gramenon et dont je parle dans mon livre. Je trouve que c’est une femme formidable, une vigneronne d’exception et une femme avec des qualités humaines remarquables. Je suis aussi assez bluffée par des jeunettes qui se lancent. Je pense par exemple à Laura David qui a 28 ans je crois et qui en est déjà à son troisième millésime dans la Vallée de la Loire. Elle fait des choses remarquables, elle se bat parce qu’elle a rencontré des soucis logistiques et techniques – elle louait un endroit où elle entreposait ses vins que le propriétaire a voulu reprendre – et elle s’en sort très bien.
J’ai beaucoup d’admiration pour plein de femmes du vin. Comme on se fréquente assez régulièrement, on a de la tendresse, de l’affection, de l’amitié les unes envers les autres. C’est d’ailleurs une chose qui revient souvent dans l’association. Les femmes – surtout les vigneronnes, qui ont des boulots tellement accaparants et ont tellement à faire sur leurs domaines, d’autant plus quand elles ont des enfants à gérer – ont peu d’occasions de se rencontrer. La beauté de ce métier-là c’est donc aussi d’arriver à partager une passion commune, même si on ne la pratique pas toujours de la même façon, même si on n’a pas forcément les mêmes idées. C’est ce qui rend le métier très riche.
Quelle est la couleur dont tu ne pourrais pas te passer ?
Je suis assez fétichiste de la couleur rouge sans que ce soit lié au vin. C’est ma couleur, ma couleur préférée. J’ai toujours quelque chose de rouge sur moi, c’est presque une superstition. Mais du coup dans le monde du vin ça me limite un peu (rires) parce qu’il y a les vins blancs, les vins oranges, les vins rosés, les vins gris, les vins jaunes du Jura… Donc dans ma vie perso c’est vraiment le rouge, mais dans le vin je ne peux pas me limiter à une seule couleur car j’en serais malheureuse.
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Par Laura / Elles s'engagent, Rouge Piment