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Anoushka, pour un porno éthique et féministe

« La démarche est complètement différente du porno mainstream car je laisse les acteurs et les actrices aller vers leur plaisir et vers ce qu’ils ont envie de faire. »

15 novembre 2019

Anoushka

Photo d’Anoushka – Crédit : Loris Romano

Passionnée de cinéma, Anoushka réalise des films pornographiques très éloignés des standards habituels du porno mainstream. Déçue par ce porno très stéréotypé, globalement machiste et sexiste, elle a en effet eu envie de donner à voir d’autres sexualités et de créer un porno réaliste, se différenciant très largement des réalisations centrées autour du plaisir de l’homme et dans lesquelles la femme ne fait que hurler son faux plaisir. On peut découvrir ses courts-métrages sur son site internet, tandis que ses longs-métrages sont diffusés sur Canal.

Féministe, esthétique mais aussi éthique dans son refus de faire travailler les acteurs et les actrices dans un temps très réduit sous la dictature de l’orgasme et de la performance, le porno d’Anoushka m’a séduite dans ce qu’il déconstruit, dans ce qu’il propose et dans les fantasmes qu’il éveille. Alors j’ai eu envie d’en savoir plus sur son histoire, sa démarche, ses projets, mais aussi sur les thèmes qui lui sont chers et qu’elle devrait aborder dans ses prochains films.

Anoushka, tu réalises des films pornographiques qui se distinguent très largement du porno mainstream. Comment as-tu découvert l’univers du porno éthique et féministe et qu’est-ce qui t’a donné envie d’en réaliser ?

J’ai découvert le porno féministe à travers le regard d’Ovidie avec qui j’ai travaillé pendant quelques années. J’étais chargée de production sur ses longs-métrages et ça m’a donné envie de réaliser mes propres films, de façon complètement différente mais en partageant les mêmes valeurs. Quelques années auparavant, on m’avait diagnostiqué la maladie de Crohn. J’ai vraiment beaucoup souffert au début, j’ai été hospitalisée à plusieurs reprises, ma libido avait complètement disparu et je pensais que c’était fini. Mais en découvrant le porno féministe, j’ai commencé à ressentir à nouveau des choses. J’ai retrouvé des fantasmes et j’ai eu envie de les réaliser à l’image. Ça a été un peu comme une thérapie. Je me suis rendu compte que je n’étais pas cassée, que j’avais toujours des envies, et que c’était justement ce genre de choses qui me donnaient envie : un porno respectueux de la femme, des corps différents, des vraies histoires, un souci du détail et de l’esthétique.

Qu’est-ce qui est féministe dans ta démarche ?

Je m’intéresse au plaisir de la femme. Il ne s’agit pas d’un porno phallocentré, il n’y a pas que de la pénétration, il n’y a pas de pression de performance. C’est donc complètement différent du mainstream. Et j’aborde également des sujets de société plutôt engagés. Dans mon dernier long-métrage par exemple, je parle du travail du sexe et du genre. 

« Je ne suis pas là pour imposer ou pousser les personnes avec qui je travaille dans leurs retranchements. On est là pour partager un moment intime, fort, dans le respect et la bienveillance. »

La démarche est aussi féministe et finalement éthique dans le tournage parce que je ne mets pas de pression sur un orgasme ou sur une performance. Je détermine avant la scène ce que moi j’aimerais voir à l’image et les acteurs et les actrices me disent comment ils ressentent mon désir, ce qu’ils ont envie de faire et ce qu’ils n’ont surtout pas envie de faire. Ainsi, il n’y a pas de surprise, pas de pression. Je respecte les limites de chacun et la démarche éthique réside dans ce respect. Je ne suis pas là pour imposer ou pousser les personnes avec qui je travaille dans leurs retranchements. On est là pour partager un moment intime, fort, dans le respect et la bienveillance. On en discute, puis je dis « action » et c’est moi qui vais chercher les images que je veux. Je ne coupe pas, il y a donc un vrai lâcher prise parce qu’il y a une certaine liberté dans le sexe. La démarche est complètement différente du porno mainstream car je laisse les acteurs et les actrices aller vers leur plaisir et vers ce qu’ils ont envie de faire.

Anoushka

Photo du film Blow Away d’Anoushka – Crédit : Pia Ribstein

Tu fais aussi le choix de montrer des corps très différents ?

Oui, complètement, ça fait aussi partie de ma démarche et de mon engagement. Mes films montrent des corps de femmes très variés. Je ne montre pas que des filles hyper bien gaulées avec une grosse poitrine, je montre de la pilosité, il y a un côté nature, un côté nana de tous les jours qui permet de plus facilement se projeter et s’identifier. Dans mon dernier long-métrage, j’ai également filmé un de mes très bons amis Kay Garnellen qui est transgenre, car c’est important pour moi de montrer qu’il y a une vraie diversité, que c’est aussi ça la vie, qu’il faut sortir des schémas stéréotypés ou de l’hétéronormativité.

Anoushka

Photo du film Blow Away d’Anoushka – Crédit : Pia Ribstein

Tu te refuses à l’abattage qu’on trouve beaucoup dans le monde du porno où les films sont tournés en très peu de temps sans écoute ni intimité. Comment gères-tu le facteur temps ?

J’ai tourné mon dernier film sur 15 jours, ce qui est énorme pour un long-métrage porno parce qu’on a un budget très serré. Et quand tu as des exigences « cinéma » c’est pas forcément évident. C’est donc assez compliqué mais prendre le temps fait partie de ma façon de travailler. Le fait que je ne sois pas moi-même en grande forme physique à cause de ma maladie me pousse à prendre encore plus soin de mon équipe, de mes acteurs et de mes actrices, à prendre le temps de faire les choses et à créer un cocon de bienveillance autour du tournage. On n’est pas dans une industrie à la chaîne, même si je sais que d’autres le font car c’est aussi une question de budget et que le temps c’est de l’argent… Moi je ne me rémunère quasiment pas sur mes films, ce qui me permet de mettre plus de budget dans le film lui-même et donc de prendre plus de temps. Et en prenant le temps, on peut aussi prendre plus soin du détail. C’est un ensemble.

« La réalisatrice se doit d’être présente et à l’écoute. Je m’investis beaucoup émotionnellement et je pense que c’est aussi cela faire un film réussi. »

Quant à la création de l’intimité, elle passe par le temps qu’on y accorde, par l’investissement personnel. On discute beaucoup avant le tournage (les actrices et acteurs ont le scénario en amont, ils savent avec qui ils vont partager leurs scènes, je les mets en contact avant d’arriver sur le set) et pendant le tournage. A chaque scène, on prend un temps précieux pour discuter. C’est très important, on est dans une création d’intime, on se doit donc d’y mettre son cœur et toute sa bienveillance. Nous ne sommes pas sur des productions HBO ou autres à grande ampleur, la réalisatrice se doit donc d’être présente et à l’écoute. Je m’investis beaucoup émotionnellement et je pense que c’est aussi cela faire un film réussi. Partager sincèrement le moment, et ne pas être totalement focus sur les aspects de planning et de résultat. On mange ensemble, on rit ensemble. Chaque film est une aventure humaine avant tout.

Tu viens de présenter Blow Away, réalisé cette année, et sélectionné au Porn Film Festival de Berlin. Quel accueil le film a-t-il reçu ?

Il était en sélection officielle dans la catégorie long-métrage et on a eu un super accueil ! Je ne m’attendais pas à ce que les choses se passent mal car c’est un festival autour duquel il y a beaucoup d’amour, mais il y a toujours un petit stress tout de même. Et je suis très contente car le film a plu, il a été diffusé deux fois, avec pas mal de monde dans la salle. Le jury du festival a trouvé intéressant qu’il y ait des sujets un peu « éducatifs », notamment sur le travail du sexe et sur le genre. Eux n’ont rien appris parce que ce sont des choses auxquelles ils ont l’habitude d’être confrontés et qui sont particulièrement véhiculées à Berlin, mais, comme je le leur ai expliqué, c’est important pour moi de relayer ces sujets dans un film Canal.

« Les spectateurs n’ont absolument pas l’habitude de voir ce genre de sexe qui repose sur une vraie diversité. Ils n’ont pas l’habitude non plus d’entendre un discours sur le travail du sexe, sur le genre, sur la transsexualité. »

Parce que les spectateurs n’ont absolument pas l’habitude de voir ce genre de sexe qui repose sur une vraie diversité et parce qu’ils n’ont pas l’habitude non plus d’entendre un discours sur le travail du sexe, sur le genre, sur la transsexualité. Je vois la fenêtre du mainstream comme une petite fenêtre par laquelle on peut rentrer et par laquelle on peut venir apporter d’autres choses. Et c’est parce qu’on apportera des choses différentes que le spectateur changera ses habitudes et aura envie d’aller vers autre chose. Si on montre au contraire tout le temps la même chose, la demande restera forcément la même.

Après le thème de la découverte de sa sexualité par une femme qui apprend à lâcher prise dans Gloria, celui du travail du sexe et du genre dans Blow Away, quels thèmes vas-tu aborder dans tes prochains films ?

Je prépare mon prochain long-métrage pour lequel le contrat vient d’être signé. Il est en cours d’écriture et on devrait tourner en début d’année prochaine avec Romy Alizée qui sera l’actrice principale du film. Ça va être un film très intimiste avec une thématique qui me tient à cœur, mais aussi un vrai challenge car on va avoir encore moins de budget que pour le précédent film. Ce sera une histoire d’amour et de reconstruction, dans laquelle on va aborder l’assistanat sexuel et sensuel, parler du corps abîmé, du corps cassé qui va se reconstruire. Je pense que ça peut être un très beau film.

Et j’ai également plusieurs courts-métrages en post-production pour mon site internet, comme Les amants nocturnes, un petit court-métrage assez fun sur des vampires dépressifs, un peu à la Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch. Tous ces courts-métrages « home made » sont à découvrir sur mon site notasexpert.com.

Qui sont les femmes qui t’inspirent ?

Il y a Ovidie que je considère comme ma marraine dans le milieu. C’est elle qui m’a fait découvrir le porno féministe, c’est elle qui m’a aidée, c’est elle qui m’encourage encore aujourd’hui. Et les documentaires qu’elle réalise sont vraiment d’intérêt public.
Il faut que de plus en plus de femmes se mettent derrière la caméra et apportent leur vision de la sexualité, pour qu’on puisse changer les mentalités et casser les normes qui sont en place. Je pense donc à des femmes engagées, fortes, qui produisent, réalisent et influencent la société. Il y a Carmina qui a repris le Tag Parfait, qui réalise et performe aussi pour Carré Rose, une production française de porn féministe et alternatif. Il y a aussi Romy Alizée qui est photographe et a présenté son premier court-métrage au Porn Film Festival cette année car son engagement est sincère et m’inspire beaucoup. Elles s’investissent, elles font bouger les lignes, elles portent haut et fort la voix du féminisme « pour toutes » inclusif… c’est une source d’inspiration au quotidien. En plus d’être des copines ce sont des femmes que j’admire.
Je trouve aussi très inspirantes tout un tas de femmes qui ont marqué l’histoire. Je pense notamment à Olympe de Gouges.
Et aujourd’hui, je pense à Adèle Haenel, qui a eu le courage de parler et d’apporter une tribune aux violences faites aux femmes, et aussi à toutes celles qui n’ont pas la chance d’avoir cette tribune médiatique. Je pense à toutes ces femmes qui se battent et ne lâchent rien pour défendre nos droits, au Strass qui défend les droits des travailleuses du sexe, aux femmes trans car elles aussi souffrent et on n’en parle pas, comme si c’était des sous femmes et qu’elles ne rentraient pas dans la catégorie.

Anoushka

Photo de Romy Alizée, Carmina, Doc Celio & Anoushka au Porn Film Festival de Berlin – Crédit : Carmina

Quelle est la couleur dont tu ne pourrais pas te passer ?

Je dirais le jaune ! J’adore cette couleur.

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Anoushka

Photo d’Anoushka – Crédit : Loris Romano

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