16 septembre 2019
Photo de Catherine Bernard – Crédit : Catherine Bernard
Le 1er juillet dernier, la vigneronne Catherine Bernard, ancienne journaliste, a publié sur les réseaux sociaux, par l’intermédiaire des Éditions du Rouergue, un texte racontant ce qui s’est produit le vendredi 29 juin dans les vignes du Midi. « Un avertissement », « un carton rouge », puisque plusieurs parcelles de vignes ont littéralement brûlé sous l’effet de fortes chaleurs. Quand j’ai lu ce texte qui explique et prévient que « si la vigne n’a plus sa place dans le Midi, l’homme ne l’aura pas davantage car le soleil et le vent seront brûlure sur sa peau », je me suis dit que ce feu était une façon pour la terre de nous crier son envie de vivre, de manifester sa pulsion de vie. Alors j’ai eu envie de parler avec Catherine de ce qui s’est passé le 29 juin 2019, de la façon dont elle envisage l’avenir de la vigne mais aussi de sa « place sur Terre » pour reprendre le titre de son dernier livre (Une place sur Terre, 2018, éditions du Rouergue).
Catherine, peux-tu revenir sur ce qui s’est passé le 29 juin dernier et sur ce que cet événement a eu de dramatiquement exceptionnel ?
Tous ceux qui sont très proches de la nature, tous ceux qui travaillent la terre, les montagnards, sont aux avant-postes pour voir les effets du réchauffement climatique. Ils sont les premiers témoins pour qui cela s’incarne, parce que le réchauffement climatique est très difficile à percevoir. Ce sont des chiffres, des prévisions, comme des oracles du temps des Romains. Et on y croit, on n’y croit pas, on ne peut pas y croire, on ne veut pas y croire. Dans la vigne, cela faisait deux trois millésimes qu’on commençait à percevoir le réchauffement climatique mais c’était encore quelque chose de lointain. Les vendanges étaient avancées en août, les rendements en baisse parce que la vigne est tout le temps en stress hydrique, il y avait une manifestation lente du phénomène. Mais là, ce qui s’est produit, c’est un phénomène exceptionnel qui ressemble beaucoup à ce qui est décrit par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Ce qu’on appelle l’Ouest rhodanien, c’est-à-dire toute la partie ouest du Rhône qui commence un peu en amont de Nîmes et qui va jusqu’à Béziers, à 30 km de Montpelliers, est une zone plus fragile et exposée que d’autres, pour laquelle le GIEC prévoit le passage d’un régime climatique méditerranéen à un climat plutôt subsaharien. Ça fait des années qu’on voit bien que les étés s’allongent par le début et par la fin, que la dernière pluie vient de plus en plus tôt dans la saison et qu’il pleut de plus en plus tard à l’automne, mais les prévisions du GIEC semblaient encore abstraites.
« Pour moi, il y a un avant 28 juin 2019 et un après. J’avais conscience de ce qui se jouait, mais je ne l’avais pas encore ressenti dans ma chair. Et là je l’ai ressenti, j’ai vu qu’il fallait se préparer à un monde nouveau, qui nous est inconnu. »
Et ce qui s’est produit le 29 juin est vraiment un phénomène subsaharien : l’association d’une lumière extrêmement intense, d’une température chaude et de courants d’air brûlants. Ça s’est passé vers 17h, au moment de l’année où l’intensité lumineuse est la plus importante, où les jours sont les plus longs, où le soleil est vraiment à son Zénith, au moment où les vignes sont elles-mêmes en pleine croissance, où on les protège avec du souffre… L’association de tous ces éléments a fait que certaines parcelles de vignes ont brûlé. Quand je suis arrivée sur place, je me suis dit que ce que je ne voulais pas voir était bel et bien là. Pour moi, il y a un avant 28 juin 2019 et un après. J’avais conscience de ce qui se jouait, mais je ne l’avais pas encore ressenti dans ma chair. Et là je l’ai ressenti, j’ai vu qu’il fallait se préparer à un monde nouveau, qui nous est inconnu. Et cela dépend bien sûr de nous les vignerons, et globalement de tous les agriculteurs et paysans, mais le réchauffement climatique concerne tout le monde.
Justement, c’est un peu un signe que nous envoie la Terre. Est-ce que tu penses qu’il est encore temps d’inverser le cours des choses et comment ?
Il est impossible de revenir en arrière. C’est un phénomène systématique, qui relève de l’association de plusieurs facteurs, que les scientifiques de maîtrisent pas. Et Dieu merci. Je ne suis pas croyante, mais je dis Dieu Merci parce que ça nous oblige à reprendre confiance en nous et à refaire confiance à notre instinct, à agir par intuition plutôt que par raison. On ne pourra pas inverser ce phénomène, mais on peut en prendre la mesure et l’accompagner, apprendre à vivre avec sans continuer à détruire davantage.
Après avoir été journaliste pendant 20 ans, tu as quitté ce métier pour devenir vigneronne. Qu’est-ce qui t’a amenée à changer de vie ?
Je suis née à la campagne, dans le pays nantais, entre Nantes et Saint-Nazaire, et j’y ai grandi en toute liberté. On allait à l’école à pied, on se retrouvait au fil du chemin, on s’arrêtait dans les fossés, on cueillait des mûres… Et c’est quelque chose qui marque pour toujours. Cette vie-là m’a toujours manqué. Quand j’étais enfant, je voulais devenir agricultrice, mais ça ne se faisait pas du tout à l’époque. J’ai donc fait des études, je suis devenue journaliste, mais la terre m’a toujours intéressée. Et la vie m’a amenée en Languedoc, alors que j’étais correspondante de Libération, et en Languedoc il y a des vignes. Alors j’ai décidé d’y cultiver des vignes. C’est le retour à la terre qui m’intéressait. Je pense que si j’avais atterri là où il y avait des brebis, j’aurais fait du fromage. Et puis après, une fois que j’ai eu des vignes, il fallait bien que je fasse quelque chose du raisin, alors j’ai fait du vin. J’explique ce changement de vie dans Une place sur Terre. Je raconte comment des ruptures se font dans la vie à partir de trois faits-divers que j’ai couverts. Un fait-divers c’est un avant et un après. Et, dans la vie, il arrive que quelque chose se déclenche, quelque chose qui fait que ce qui était possible avant ne l’est plus.
Couverture du livre de Catherine Bernard, Une place sur Terre
Et tu as fait le choix d’une agriculture viticole bio. Quels sont les principaux enjeux liés à la production du vin naturel ?
Je travaille avec des pratiques biodynamiques mais je pense qu’il faudra aussi revoir tout ça. Je n’ai pas de solution mais je sais que certaines parcelles peuvent encore accueillir dix ans de vignes mais qu’ensuite ça ne sera plus possible. On a organisé la vigne telle qu’on la connaît tous, en rangs d’oignons, sur fil, sans arbre au milieu, sans plante au milieu pour venir la compléter… Mais je pense qu’il faut qu’on réfléchisse à d’autres possibilités. D’une certaine manière, il faut sortir l’économie de notre vie, repenser la nature et faire quelque chose de gratuit. Sur certaines parcelles, il y aura trop de soleil, il faudra de l’ombre, il faudra recréer une diversité. A mon sens, ce n’est pas une histoire de technique, mais une histoire de pensée. Il faut penser différemment. On en a trop demandé à la Terre, on a toujours pensé en termes de rendement. Ce n’est pas du tout un jugement de valeur parce que les générations précédentes avaient d’autres exigences, mais maintenant il nous faut réapprendre à penser la Terre pour ce qu’elle peut donner et pour ce qu’on lui doit.
Tu as quitté le journalisme mais tu continues à écrire avec déjà trois livres à ton actif depuis 2011. Travailles-tu déjà à un autre projet de livre ?
Oui, bien sûr, toujours. Je viens de terminer un petit livre qui sortira en octobre aux éditions Les ateliers d’argol et s’appelle Ma part des anges. C’est pour une petite collection sur la philosophie du goût et j’y parle de ce que représente pour moi la part des anges, ce volume de vin qui s’évapore lors de l’élevage en fûts. On n’est pas très loin du réchauffement climatique parce que c’est une histoire de perte. La part des anges est une perte et de cette perte naît quelque chose, ça devient quelque chose dans le vin.
Et j’ai un autre projet d’écriture qui est encore en train de mûrir. J’écris tout le temps, toujours autour des vignes, de la terre. Je suis assez obsessionnelle !
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Je suis une très grande lectrice et les femmes qui m’inspirent sont des héroïnes de romans. Il y a Modesta de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza et l’héroïne de Dalva de Jim Harrison. Ce sont des vrais D’Artagnan au féminin !
Crédit : Catherine Bernard