4 juillet 2019
Crédit : Francesca Mantovani
Après avoir participé au développement de Terrafemina, Adèle Bréau est devenue rédactrice en chef de ELLE digital. Elle est aussi l’auteure de la trilogie inaugurée par La Cour des grandes, dont les droits ont été vendus à la télévision. Son quatrième roman, L’odeur de la colle en pot, est paru en avril dernier aux éditions JC Lattès. On a lu le livre d’Adèle et on a eu envie de boire un diabolo menthe en nous replongeant dans les souvenirs de l’adolescence, période douce et piquante à la fois. On a surtout eu envie de rencontrer Adèle pour parler des années 1990 qu’elle évoque comme personne, de ses projets et de ses inspirations.
Adèle, tu es journaliste et romancière. Peux-tu nous parler de ton parcours ? As-tu toujours été passionnée par les mots ?
Les mots ont toujours eu leur importance, mais il ne me paraissait pas concevable d’en vivre. Ma grand-mère, Menie Grégoire, a été la première à animer une émission de radio de libre-antenne où les femmes pouvaient raconter leur vie quotidienne. Elle a été femme au foyer et ensuite, à 40 ans, elle est devenue journaliste star à RTL, ce qui est vraiment réconfortant ! Et quand j’étais petite, elle travaillait encore. Je la voyais avec ses vestes à épaulettes, ses hauts talons, et le métier de journaliste me semblait extraordinaire. Elle écrivait aussi des livres, elle m’a beaucoup inspirée.
J’ai commencé par travailler dans l’édition, chez Lattès, un peu par hasard, pendant ma licence de lettres. On reçoit énormément de manuscrits, des textes parfois très mauvais qui m’ont fait réaliser que certaines personnes passent beaucoup de temps à écrire mais n’y arriveront jamais, mais aussi des textes tellement formidables qu’ils m’ont découragée dans mon propre désir d’écrire. Après ce stage, j’ai travaillé dans l’édition de revues de jeux, puis j’ai commencé à écrire des psycho-tests pour des magazines féminins. C’est par ce biais que j’ai été recrutée par l’équipe de Terrafemina. On était trois au départ, le site n’existait pas encore, on écrivait les rubriques dans des colonnes sur une feuille, on n’y connaissait pas grand-chose… C’était en 2007, la belle époque du web, tout le monde était enthousiasmé, et ça a marché ! Je suis restée là-bas 9 ans et j’ai fait plein de choses différentes : de la gestion de projet au moment du lancement du site, de la rédaction, du démarchage d’annonceurs… Et ensuite j’ai beaucoup travaillé sur le recrutement de la communauté des femmes. On dialoguait sur des thématiques qui les touchaient et c’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée d’écrire mon premier roman, La cour des grandes, qui a pour héroïnes quatre femmes de 40 ans. Je trouvais que les comédies romantiques nous racontaient très souvent l’histoire de célibataires finissant pas trouver l’amour et j’avais envie de construire d’autres types de personnages. Je voulais que mes héroïnes aient déjà un mec, des enfants, et qu’il leur arrive plein de choses liées aux problématiques que j’avais pu rencontrer dans les groupes de discussion de Terrafemina. C’est au moment où j’achevais l’écriture du second tome que j’ai été appelée par Elle où j’ai travaillé 3 ans, tout en écrivant ma trilogie. Je viens de quitter ce poste suite au rachat du magazine qui a coïncidé avec la sortie de mon quatrième roman.
Couverture du livre L’odeur de la colle en pot
Dans L’odeur de la colle en pot, tu parviens à restituer l’atmosphère des années 1990 en évoquant le téléphone fixe et les cabines téléphoniques, les cahiers Clairefontaine et le bruit des craies, les walkmans et les cassettes, les cafés où l’on fume encore et les diabolos menthe, la Télé des Inconnus, et ces petits pots de colle à l’odeur d’amande dont le souvenir ramène ta narratrice 27 ans en arrière dans ton épilogue… Pourquoi cette période te tient-elle à cœur ?
Ce qui m’intéressait c’était de parler de la génération qu’on appelle la génération X, celle qui a été coupée en deux entre l’avant et l’après téléphone portable. C’est une génération qui a vécu cette accélération en devenant adulte après avoir grandi dans un rapport à la communication vraiment différent. Dans les années 1990, toute la famille avait le même téléphone. Il y avait quelque chose de beaucoup plus communautaire, on écoutait avec le petit écouteur, notre mère pouvait écouter la conversation quand il y avait deux postes… Il fallait se présenter quand on appelait chez quelqu’un, c’était une démarche, et quand on décrochait son téléphone, on ne savait pas qui appelait, on était davantage confronté à l’autre et dans le dialogue.
« Ce qui m’intéressait c’était de parler de la génération qu’on appelle la génération X, celle qui a été coupée en deux entre l’avant et l’après téléphone portable. »
Aujourd’hui on a tous nos téléphones, on peut s’adresser à plein de gens de manière totalement individuelle sans que personne n’entende rien, on peut annuler un truc en se contentant d’envoyer un texto, on peut décider de ne pas répondre aux mails. Cette manière de communiquer a un véritable impact sur les rapports humains. Je trouve aussi qu’avant cette accélération de la communication, la temporalité était différente, on s’ennuyait davantage, on était plus dans la contemplation et la réflexion. J’essaie de le représenter dans mon livre en décrivant ces après-midis que ma narratrice passe à regarder par la fenêtre avec sa copine. Je voulais parler de cette génération qui a connu un changement d’époque vraiment radical.
Déménagement, séparation des parents, premier amour, difficultés à se faire une place au milieu des autres, l’année de 4e année vécue par Caroline nous replonge dans les souvenirs d’une période pas toujours évidente. T’es-tu t’inspirée de ta propre adolescence pour écrire ce roman ?
Oui, mes parents se sont vraiment séparés quand j’avais 13 ans, ce qui a été le cas pour beaucoup de gens de ma génération. Il s’agissait des premiers divorces car la génération précédente ne divorçait pas. Les gens se séparaient quand leurs enfants étaient ado, ce qui coïncidait avec le moment où leurs enfants découvraient l’amour, et les parents ne communiquaient pas du tout parce qu’ils n’avaient pas été « formés » à apprendre le divorce à leurs enfants. Aujourd’hui, les gens se séparent plus tôt, très souvent quand les enfants ont entre 4 et 8 ans, ils refont leurs vies avec d’autres personnes, il y a des familles recomposées… et on en parle, papa et maman s’assoient en face de l’enfant, vont voir le psy directement. A l’époque, tout était dans le non-dit, comme dans mon livre où tout le récit passe par la voix de l’héroïne car je voulais montrer qu’elle comprend tout malgré le silence de ses parents et la chape de plomb qui pèse sur leur séparation.
Que ce soit dans ton écriture qui est à la fois drôle et sensible ou dans la description des émotions de Caroline qui vacille sans cesse entre la joie, la colère et la mélancolie, il y a un côté très piquant que l’on retrouve dans ton blog adeledebrief.worpress.com. Est-ce que tu aurais envie de débriefer sur quelque chose aujourd’hui ?
Absolument ! J’ai lu récemment que de nos jours seul 51% des enfants de moins de 5 ans ont droit à leur histoire du soir contre 69% en 2013. J’aimerais bien débriefer sur ce sujet, enquêter, parce que je pense que ce temps de partage avec les parents est très important, c’est une découverte de la lecture, un moment qui ouvre l’imaginaire. J’ai twitté « la tristesse de ce chiffre » et certains ont répondu que c’était « un truc de bourgeois », d’autres qu’on ne leur avait pas lu d’histoire et qu’ils n’en étaient pas traumatisés… C’est un sujet que j’aimerais creuser !
Quels sont tes projets ?
Je suis en train d’écrire un livre de témoignages. C’est une forme d’écriture que je n’avais jamais testée et que je trouve très intéressante, une écriture qui permet de rentrer dans la tête des gens, de leur poser des questions un peu intrusives que l’on n’oserait pas poser dans un autre contexte. Et c’est passionnant d’avoir leurs retours, de sentir qu’ils sont parfois touchés parce que j’ai perçu des choses qu’ils n’ont pas forcément dites. Je travaille aussi sur d’autres petits projets plus amusants, parce que je n’ai pas de snobisme dans l’écriture. J’ai commencé par écrire un livre sur les expressions énervantes qui avait très bien marché. J’ai en ce moment avec un éditeur le projet d’une collection entre humour et illustration, et je travaille aussi avec une amie illustratrice sur deux projets de jeux de cartes pour enfants. Je suis très heureuse d’avoir la liberté de faire tout ça ! Quand on quitte les murs de l’entreprise, l’imaginaire se redéveloppe énormément parce qu’on peut marcher, qu’on est moins soumis à des horaires. Cela est d’autant plus vrai pour moi qui ai travaillé pendant plus de 10 ans dans le digital, dans le flux de l’actualité, dormant presque avec mon ordi parce qu’il faut être sur le qui-vive quand il y a un mort, un mariage, une naissance… J’ai adoré le faire et je ne dis pas que je ne reviendrai pas à ce type de poste, mais c’est vrai qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir des idées dans ce contexte.
« Quand on quitte les murs de l’entreprise,
l’imaginaire se redéveloppe énormément parce qu’on peut marcher, qu’on est moins soumis à des horaires. »
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Quand on me demandait ce que je voudrais faire quand je serai plus grande, j’ai souvent répondu que je voudrais être Katherine Pancol, Danièle Thompson ou Françoise Sagan. J’ai toujours aimé l’univers de ces femmes et ce qu’elles racontaient, c’est-à-dire la vie quotidienne d’une manière que beaucoup peuvent trouver légère mais qui est beaucoup moins légère qu’il n’y parait, qui croque la société à un moment donné. Quand j’ai lu Française Sagan pour la première fois, j’ai réalisé, et ça a été une révélation pour moi, que l’on pouvait écrire des livres dans lesquels il ne se passe pas grand-chose, des romans dans lesquels ce qui compte c’est le ton, la musique, la psychologie de personnages auxquels on s’attache et que l’on suit à un moment de leur vie.
Un livre coup de cœur à nous conseiller pour cet été ?
J’ai lu récemment le dernier livre de Marie Vareille, La vie rêvée des chaussettes orphelines, et j’ai adoré. Elle m’a bluffée ! Nous faisons partie d’un collectif d’auteures qui défend la comédie romantique. L’odeur de la colle en pot n’est pas une comédie romantique, mais La cour des grandes appartient à ce genre. Nous nous sommes réunies pour nous « insurger » contre ceux qui classent la comédie romantique comme un sous-genre littéraire. Pour moi, au cinéma comme en littérature, il y a des thèmes, des manières d’écrire, il y a le polar, le thriller, la comédie romantique, le drame, le document, et je trouve que dans chaque catégorie il y a du très bon et du très mauvais. Au cinéma, par exemple, Quand Harry rencontre Sally et Pretty woman sont des comédies romantiques et il y a plein de gens qui seraient incapables de faire aussi bien. Avec ce collectif, on cherche à redonner ses lettres de noblesse à la bonne rom’ com’.
Par Laura / Elles racontent, Mint