14 juin 2018
Crédit : Numéro Une
« A l’époque où nous écrivions tous des histoires érotiques pour un dollar la page, je m’aperçus que, pendant des siècles, nous n’avions eu qu’un seul modèle pour ce genre littéraire – celui des hommes. J’étais déjà consciente que les conceptions masculines et féminines de l’expérience sexuelle étaient différentes. Je savais qu’un large fossé séparait la crudité des propos d’Henry Miller de mes ambiguïtés – sa vision rabelaisienne et humoristique du sexe et mes descriptions poétiques des rapports sexuels dont je parlais dans les fragments non publiés du Journal. »
Anaïs Nin, Vénus Erotica, 1977.
Notre sélection de textes érotiques écrits par des femmes
Crédits : Peintures de Dali et Pierre Bonnard, dessins de Milo Manara, Kim Roselier, Lis Xu, Maud Bergeron et Guido Crepax, infosmaintenant.net
Pauline Réage, Histoire d’O, 1958.
Histoire d’O est un classique de la littérature érotique écrit sous le pseudonyme de Pauline Réage. La critique littéraire Dominique Aury attendra d’avoir 87 ans pour avouer en être l’auteure. Elle l’écrivit en trois mois, comme une longue lettre d’amour destinée à son amant Paulhan. Leur relation amoureuse était connue mais il était marié et il n’était pas question que les choses changent.
En lui écrivant ce texte, elle laisse libre cours à ses fantasmes en célébrant la passion dans ce qu’elle a de plus cru et de plus extrême. Elle-même disait : « la réalité n’y a pas de place. Personne ne supporterait d’être traitée ainsi. C’est entièrement fantasmatique. » En mêlant le plaisir et la douleur, l’amour et la brutalité dans un roman qui choque encore plus d’un demi-siècle après sa parution, Dominique Aury a écrit une métaphore de la jouissante vulnérabilité qui nous atteint lorsque nous tombons amoureux.
Violette Leduc, Thérèse et Isabelle, 1966.
Dans ce roman longtemps censuré, Violette Leduc décrit avec une grande liberté de ton la passion intense vécue par Thérèse et Isabelle dans un pensionnat de jeunes filles dans les années 50. L’auteure voulait « rendre le plus minutieusement possible les sensations éprouvées dans l’amour physique » dans des pages jugées scandaleuses au moment de leur écriture qui sont aujourd’hui devenues un classique de la littérature lesbienne.
Emmanuelle Arsan, Emmanuelle, 1968.
Sous le pseudonyme d’Emmanuelle Arsan se cache Marayat Bibidh, une jeune franco-thaïlandaise qui rejoint en 1956 son mari diplomate à Bangkok. Ce couple va y profiter des plaisirs de l’existence de façon hors-norme, comme le raconte la jeune femme dans le récit autobiographique Emmanuelle paru en 1959 sous le manteau avant d’être republié en 1968 pour devenir un mythe érotique planétaire.
Il s’agit d’une œuvre majeure, féministe et libertine, qui invite à penser autrement, à vivre le plaisir au présent, à s’épanouir dans un érotisme radieux frontalement opposé aux normes pornographiques actuelles. Comme le souhaitait l’auteure, « Il faudrait que chaque femme se mette, ne serait-ce que dix minutes, une fois dans sa vie, dans la peau d’Emmanuelle ». Pour ce faire, on vous laisse découvrir un extrait de ce texte dans nos coups de coeur #Les classiques Sanguine.
Anaïs Nin, Vénus Erotica, 1977.
En 1940, le romancier Henry Miller se voit proposer par un collectionneur d’écrire des récits érotiques pour un dollar la page. Il demande à son amante Anaïs Nin de l’aider. C’est ainsi que naît la littérature érotique féminine. Anaïs Nin commence à étudier le Kama Sutra, s’inspire de ses propres histoires ou de celles qui lui ont été contées, invente, exagère.
Trente ans plus tard, la femme de lettres relit ses nouvelles et décide de les publier sous le titre de Vénus Erotica pour donner un point de vue féminin sur l’érotisme encore dominé par les hommes. Le livre est devenu un véritable best-seller.
Françoise Rey, La femme de papier, 1989.
Mariée, mère de trois enfants, Françoise Rey est professeur de Lettres dans un collège de campagne quand elle écrit La femme de papier. Sa publication en 1989 suivie d’un passage chez Bernard Pivot font rapidement d’elle une référence de la littérature érotique. Vendu à plus de 350 000 exemplaires, traduit en anglais, allemand, italien, espagnol, danois, roumain, japonais… ce roman libertin est un grand succès de librairie.
Une femme y évoque des situations vécues et des fantasmes dans des lettres destinées à son amant, avec sensualité, chaleur et souvent avec humour, dans un immense désir de combler son partenaire et de prendre du plaisir. La narratrice est une femme libre, amoureuse, fière de son corps, qui veut jouir et qui aime ça. Un bel hommage au plaisir féminin.
Caroline Lamarche, La nuit l’après-midi, 1998.
Une femme ne se souvient pas de son enfance. Sauf d’une chose, dont elle fut délivrée autrefois par l’amour d’une servante, et qu’elle tente de revivre en répondant à une petite annonce. Dès lors, à la douceur qu’elle connaissait avec Gilles, son amant, se substitue la douleur infligée sur demande par l’homme roux.
Si l’érotisme et la souffrance se mêlent, la sexualité apparaît dans ce texte comme un moyen de découvrir et de se découvrir, la narratrice s’interrogeant sur son enfance, son rapport à la maternité et à son corps. Publié aux Éditions de Minuit, le récit de Caroline Lamarche est magnifiquement écrit.
Catherine Millet, La vie sexuelle de Catherine M., 2001.
La publication du livre de Catherine Millet, directrice de la prestigieuse revue Art Press, bien connue des milieux de l’art contemporain, a fait l’effet d’une bombe au printemps 2001 (Prix Sade 2001). L’auteure y dévoile en effet sa vie sexuelle intense, multiple et collective, faisant entrer le lecteur dans le monde de l’échangisme, avec un mélange singulier de lumière crue, de distance et d’esprit.
Catherine est passée sans transition de l’ignorance des jeunes filles de son temps à une sexualité sans interdit ni censure, commençant à pratiquer le sexe à plusieurs à peine déflorée. L’exploration de sa sexualité est mue par une volonté de découvrir mais aussi par le désir d’échapper au destin féminin.
Ce livre, vendu à des millions d’exemplaires dans le monde entier, est l’un des plus grands phénomènes littéraires du début du 21e siècle.
Toni Bentley, Ma reddition, 2004.
L’ex-danseuse étoile fait le récit autobiographique de sa vie sexuelle et écrit une véritable ode à la sodomie. Raconter l’histoire de l’évolution de sa sexualité permet à Toni Bentley de raconter l’histoire de la construction de sa personnalité – son approche du sexe étant profondément marquée par son passé d’athlète, sa rigueur, son rapport à la douleur.
La sodomie, dont l’auteure a une approche presque mystique, aussi sensuelle que spirituelle, apparaît comme une réponse à son insatisfaction sexuelle et émotionnelle. En nous contant les joies que lui procure cette pratique avec des mots crus et sans fard, Toni Bentley livre un témoignage féminin percutant et troublant.
Belinda Cannone, Nu intérieur, 2015.
L’auteure de L’Écriture du désir et de Petit éloge du désir décrit, dans ce roman qui raconte l’histoire d’un homme amoureux de deux femmes, le désir, la passion, le couple, les sentiments. Mélange de récit érotique et de roman d’analyse, de mots crus et de grand style, ce petit roman brûlant est d’une grande intelligence, activant autant le désir que la réflexion. Avec ce roman, on tombe une fois de plus sous le charme de la plume et de l’esprit de Belinda Cannone.
Par Laura / Les lettres, Sanguine