9 février 2019
(Crédit : Enlacement jaune par Etienne Gros – Galerie Insula )
Considérée comme la marraine de la littérature érotique, Anaïs Nin est la première femme à avoir exprimé une vision féminine de la sexualité, avec toute la liberté, la créativité et la transgression nécessaires pour comprendre son corps de femme, le conquérir, se sentir puissante, prendre le pouvoir. Nous vous proposons de découvrir un extrait de « Marcel », une nouvelle inédite publiée en 2016 dans sa forme originale, conforme au tapuscrit envoyé par Anaïs à un collectionneur de textes érotiques au début des années 1940. Un trésor traduit et publié en français en septembre 2018 (éditions Finitude) dans le recueil Auletris.
Anaïs Nin, « Marcel », in Auletris, Éditions Finitude, 2018 (éditions Sky Blue Press, 2016).
Quand on aime quelqu’un, il faut parfois un an ou deux pour atteindre toute la profondeur et la puissance d’une véritable harmonie sensuelle. Les corps apprennent à se connaître et accèdent à des extases supérieures, ils acquièrent une meilleure compréhension et chacun peut répondre aux désirs de l’autre. L’envie que l’on satisfait avec un étranger est l’envie de chair. Seuls les amants réguliers peuvent comprendre que l’intensité naît de la lenteur, eux seuls peuvent découvrir le paroxysme de la sexualité. Ils parviennent au plus haut niveau, celui d’une volupté sans limites qui ne peut exister qu’entre deux personnes qui ont une parfaite connaissance mutuelle.
« Je ne sais jamais bien qui sont ces femmes que je ramène à la maison, déclara Marcel en m’enlaçant dans le clair-obscur de cette chambre qu’il avait aménagée pour la volupté. Je me sens toujours un peu inquiet, je ne sais pas quoi faire. Je suis conscient que si je ne les satisfais pas, elles ne reviendront pas. Je n’ai pas la liberté d’aimer vraiment, de prendre le temps de connaître une femme parce que j’ai toujours le même blocage : je me dis qu’elle n’aimera pas ma façon de faire l’amour et qu’elle n’aura jamais envie de me revoir. Je sais qu’il est impossible de tout savoir d’une femme en une seule nuit et ça me désespère.
– L’épanouissement sexuel entre deux personnes est comme une danse. Quand on se sent libre, que rien n’est prémédité, alors la rencontre est magique. La jouissance ne peut naître que s’il n’y a aucune timidité, aucune question sur les sentiments de l’autre. Jouir n’est possible que si l’on accepte ses désirs. La connaissance, dans le sexe, doit être instinctive. Le savoir passe uniquement par le corps. Quand tu te demandes si une femme reviendra, que tu t’interroges sur la façon de la satisfaire, tu condamnes définitivement toute passion. Si tu as peur de tes désirs et de leurs conséquences, si tu te poses des questions sur le sens de tout cela, alors faire l’amour ne devient plus qu’une suite de gestes. Un interrogatoire n’a jamais rendu une femme heureuse et tu seras incapable de découvrir ce qu’elle désire. Ce n’est qu’en t’abandonnant librement et sans réfléchir au fonctionnement de ton propre corps, puis en te plongeant aveuglement dans le flot de tes propres désirs, que tu commenceras à découvrir qui est ta maîtresse. »
Par Laura / Impérial, Les lettres