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Colette, pure et impure – Le classique #Chair

L’INTELLIGENCE, L’IMPUDEUR, LA LIBERTÉ, ET UNE PUISSANTE SOIF DE PERCER LES SECRETS DES CORPS #LE CLASSIQUE CHAIR

11 mars 2019

Colette

Colette a 59 ans quand elle publie en 1932 ces pages dans lesquelles elle s’interroge sur l’opium, l’alcool et les autres plaisirs qu’on dits charnels. Elle y évoque quarante années de vie parisienne. A travers des portraits et des souvenirs, elle propose une réflexion sur « ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques ». Elle fait preuve d’une liberté de ton unique et incroyable pour l’époque. Peu lui importait en effet de choquer, il lui fallait écrire ce qui fait vaciller la chair, sans se soucier de la morale, sans se limiter aux distinctions convenues entre ce qui est bien et ce qui est mal. Comme le disait d’elle Jean Anouilh : « Madame Colette…Vous êtes la fière impudeur, le sage plaisir, la dure intelligence, l’insolente liberté : le type même de la fille qui perd les institutions les plus sacrées et les familles. » Oui, l’intelligence, l’impudeur, la liberté, et une puissante soif de percer les secrets des corps.

(Crédit : album Reutlinger – BNF )

ColetteLe Pur et l’Impur (1re éd. : 1932, sous le titre Ces plaisirs…).

La faculté féminine de prévoir, d’inventer ce qui peut, ce qui va arriver, est aigüe et mal connue de l’homme. Une femme sait tout du crime qu’elle exécutera peut-être. Maintenue, si je puis écrire, à l’état platonique, la jalousie amoureuse exerce en nous le don de deviner, bande tous les sens, renforce l’empire sur soi. Mais quelle amante criminelle n’a été déçue par son crime même ? « C’était plus beau dans mon projet. Est-ce toujours ainsi noir et terne, du sang sur un tapis ? Et ce mystérieux mécontentement, ce sommeil désapprobateur sur un visage, c’est la mort, vraiment la mort ?… » (…)
J’ai eu l’occasion de descendre au fond de la jalousie, de m’y établir et d’y rêver longuement. Ce n’est pas un séjour irrespirable, et s’il m’est arrivé autrefois, en écrivant, de le comparer comme tout le monde à l’enfer, je prie qu’on porte le mot au compte de mon lyrisme. C’est plutôt une sorte de purgatoire gymnique, où s’entraînent tour à tour tous les sens, et morose comme sont les temples de l’entraînement. Je parle, bien entendu, de la jalousie motivée, avouable, et non d’une monomanie. Culture de l’ouïe, virtuosité optique, célérité et silence du pas, odorat tendu vers les parcelles abandonnées dans l’air par une chevelure, une poudre parfumée, le passage d’un être indiscrètement heureux, – tout cela rappelle fort les exercices du soldat en campagne et la science des braconniers. Un corps tout entier aux aguets devient léger, se meut avec une aisance somnambulique, choit rarement. J’irai jusqu’à affirmer qu’il échappe, protégé par sa transe, aux épidémies banales, à condition toutefois de respecter l’hygiène spéciale et rigide du jaloux : se nourrir assez, mépriser les stupéfiants. Le reste, selon les caractères, est ennuyeux comme un sport solitaire, ou immoral comme un jeu de hasard. Le reste est une suite de paris gagnés, perdus, – surtout gagnés. « Qu’est-ce que j’avais dit ? Je l’avais dit, qu’Il la retrouvait tous les jours au même thé. J’en étais sûre ! » Le reste est compétition : tournois de beauté, de santé, d’obstination, même de salacité… Le reste est espoir…
Il n’est pas jusqu’au souhait homicide qui n’éduque la jalousie. Inévitable, mais élastiquement retenu, puis lâché un moment, repris encore, il a presque les vertus de l’exerciser. Mises à part les heures obscurcies par la sensualité, toujours prête à crier au dole et au détournement et à jouer l’affamée, je nie que le mal des jaloux les empêche de vivre, de travailler et même de se comporter en honnêtes gens. Pourtant, je viens d’employer, sans y prendre garde, l’expression « descendre dans la jalousie ». Elle n’est point basse ; mais elle nous voit humbles, et courbés dès le premier abord. Car elle est le seul mal que nous endurons sans nous y accoutumer.

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