4 avril 2019
Publié en mars dernier aux éditions NiL, le livre Girls Rock de Sophie Rosemont est la nouvelle bible des femmes dans le rock. Ayant recueilli de très nombreuses interviews pour Rolling Stone et les Inrocks, la journaliste a constaté que les femmes étaient souvent les oubliées de la grande histoire du rock’n’roll. Elle a donc décidé de combler ce vide en plaçant les filles au cœur de l’histoire dans un récit historique mettant en avant des figures iconiques mais aussi des figures plus alternatives. Elle s’ancre également dans un territoire contemporain grâce à des textes écrits par des chanteuses françaises d’aujourd’hui qui rendent hommage à leurs figures rock tutélaires.
Autre originalité de Girls Rock : les histoires de ces femmes s’intègrent dans des tribus qui soulignent les points communs de ces héroïnes anticonformistes et hors-normes. « Les cavalières en solitaire », « Le capitaine est une femme », « Leçon d’émancipation », « Bandes de filles », « Esthétique de l’instrumentiste », « Muses mais pas trop », « Briseuses de cœur », « En toute discrétion », « S’engager à tout prix », « Le sexe est un sport de combat », « De l’excès à la tragédie » … Le récit collectif fait la part belle aux performances, aux engagements, à l’aura, aux liens d’amitié et aux amours passionnées de toutes ces femmes artistes.
On a juste adoré Girls Rock, la découverte de ces vies, les illustrations de Frédérique Vernillet, la préface de Shirley Manson, et, bien sûr, l’écriture fluide et personnelle de Sophie. Nous avons donc eu envie de parler avec elle de la genèse de son livre, de sa construction et de ses futurs projets !
(Photo de Sophie Rosemont – Crédit : Patrice Normand)
Sophie, comment t’est venue l’idée d’écrire la bible des femmes dans le rock ?
Je me suis toujours intéressée au rock’n’roll au sens large et aux femmes dans le rock’n’roll en particulier. Mais, mises à part des femmes iconiques comme Janis Joplin, Marianne Faithfull ou encore Patti Smith, les deux dernières ayant d’ailleurs chacune raconté leur vie, j’avais peu accès à leurs histoires. Je suis ensuite devenue journaliste et me suis davantage penchée sur ces femmes. J’en ai rencontré un certain nombre et, à chaque rencontre, je me disais qu’il faudrait raconter leurs parcours, les obstacles qu’elles avaient rencontrés et qu’elles ne dissimulaient pas… Et parler de leur état d’esprit qui m’impressionnait beaucoup. Puis j’ai réalisé une commande pour un hors-série des Inrocks sur le féminisme dans le rock’n’roll, et, en parallèle, tandis que je faisais des recherches sur un groupe féminin pour un autre papier, j’ai réalisé que ce groupe n’apparaissait pas dans plusieurs encyclopédies musicales. J’ai alors vraiment réalisé que de nombreuses artistes féminines disparaissaient très vite, bien plus vite que des garçons ayant connu le même genre de carrière. Lorsqu’une éditrice de NiL m’a contactée car elle avait lu plusieurs de mes papiers pour me proposer de travailler sur un projet de livre, l’idée de Girls Rock nous est venue très naturellement. Cette idée est donc née de plusieurs constats, de plusieurs aventures.
Couverture du livre Girls Rock de Sophie Rosemont
Et ça n’a pas été trop difficile de sélectionner les plus de 140 chanteuses et musiciennes de rock mises à l’honneur ?
Ça a été la chose la plus difficile du livre ! Certains choix m’ont vraiment beaucoup coûté. Je ne pouvais pas être exhaustive car il ne s’agit pas d’un dictionnaire, mais d’une anthologie sélective et thématique. J’ai déjà eu la chance que mon éditrice me laisse de l’amplitude, car le livre devait être beaucoup plus court ! Mais je ne pouvais tout de même pas aller encore au-delà et j’ai donc dû faire des choix. Certains ont été évidents, c’est le cas des grandes icones, mais je tenais aussi à parler de figures plus méconnues, plus alternatives, et je voulais également inclure des blues women pour ancrer ce récit dans une histoire. Pour certaines artistes, trancher a été compliqué. Je pense par exemple à certaines folkeuses – si j’en gardais une de plus, je gardais les trois autres et je n’avais pas la pagination pour ! Ou à des personnalités comme Tracey Thorn, la moitié du groupe Everything but the Girl. Elle a vraiment quelque chose de rock’n’roll, mais son travail solo est avant tout électro. Après réflexion, j’ai donc décidé de la garder pour plus tard…. J’aurais aussi pu réserver Aretha Franklin pour un autre volume mais elle venait de mourir et il me semblait inconcevable de sortir un livre sur les femmes sans qu’elle y soit, d’autant qu’elle a touché à tout, notamment au rock’n’roll. Elle avait donc toute sa place dans Girls Rock. En revanche, je savais que Mavis Staples, une artiste que je respecte énormément, allait avoir des actus dans les années à venir, et je l’ai donc gardée pour un autre volet. En résumé, j’ai laissé de côté certaines personnalités dont je savais que je pourrai les utiliser dans un prochain livre.
Les thématiques étaient également importantes puisque j’ai construit des tribus autour de ces femmes. Elles ont joué un rôle dans mes choix car certaines femmes n’étaient pas suffisamment importantes (du point de vue de leur carrière, de leur parcours ou de leur empreinte dans l’histoire de la musique) pour que je puisse envisager une nouvelle catégorie. La construction du livre et le choix des femmes résultent d’un cheminement, d’une réflexion. Donc les absentes, je les assume – même si c’est parfois la larme à l’œil !
Quelles sont les femmes de ton livre qui te touchent le plus ?
Elles me touchent toutes. Mais c’est vrai que j’adore Joni Mitchell, Cat Power, PJ Harvey. J’aime aussi beaucoup Joan Jett, The Slits, Bikini Kill, Courtney Love, Nico, Stevie Nicks, une des chanteuses de Fleetwood Mac qui vient encore d’avoir une récompense au Rock and Roll Hall of Fame. Et je parle aussi de personnalités plus discrètes dont je suis très fan comme Beth Gibbons, la chanteuse de Portishead, ou Weyes Blood qui est une artiste contemporaine. Et puis, évidemment, il y a Patti Smith, Joan Baez… ou encore Ma Rainey et Bessie Smith, qui étaient d’incroyables performeuses blues. Beaucoup de ces femmes me bouleversent !
Tu as demandé à des musiciennes françaises contemporaines de rendre hommage à leurs aînées en partageant leurs visions d’elles, expliquant pourquoi elles sont iconiques à leurs yeux. Pourquoi ce pont entre des femmes d’aujourd’hui et des figures tutélaires ?
Il y a peu de Françaises dans le livre parce qu’il y avait peu de rockeuses françaises et que le livre est avant tout historique. Choisir des chanteuses françaises contemporaines qui ne font pas forcément du rock me permettait donc de l’ancrer dans quelque chose de contemporain et aussi de l’ancrer sur le territoire hexagonal. On constate ici qu’une chanteuse française comme Cécile Cassel, qui a priori n’a rien à voir avec Tina Turner, s’inspire pourtant d’elle, ce qui permet de mieux comprendre ses performances scéniques. Il en va de même pour PJ Harvey et Clara Luciani, pour Marianne Faithfull et Barbara Carlotti, Patti Smith et Lou Doillon. Il me semblait important de montrer à quel point ces femmes-là, même disparues, même outre Atlantique, continuent à influencer les chanteuses aujourd’hui. Le choix de ces chanteuses s’est fait au fil de l’eau, car ce sont des artistes que j’avais déjà interviewées dans le cadre de leur production actuelle. Je savais donc déjà qui elles aimaient, je les ai appelées, et elles se sont exprimées.
C’est quoi pour toi être rock aujourd’hui, dans la musique ou dans l’attitude ?
Le temps passant, le look rock est devenu patrimonial, c’est même la sève de plusieurs marques, de grandes maisons de mode, mais c’est aussi un thème qui peut être galvaudé. On peut dire « elles sont rock » en parlant de nanas qui n’ont rien de rock’n’roll à part les cheveux bouffants, le cuir, les boots et le t-shirt à l’effigie de groupes de punk qu’elles n’écoutent pas forcément. C’est une jolie attitude, mais ça ne suffit pas. Je pense qu’on peut être tout à fait rock avec un col victorien et des sages mocassins ! Le rock’n’roll, à la base, est une musique contestataire. Je pense donc qu’être rock c’est avoir un message à faire passer, s’imposer d’une manière ou d’une autre face aux normes de la société, mais aussi face au racisme, au sexisme, aux conventions. Être rock c’est, forcément, ne pas être conventionnel, d’une manière ou d’une autre, mener une vie un peu différente, avoir des opinions qui sortent de l’ordinaire, ne pas être dans la bien-pensance.
Et, en ce qui concerne la musique, le rock reste avant tout de la guitare, de l’électrique, du rythme, même s’il existe de magnifiques balades de rock’n’roll. C’est quelque chose qui gratte un peu, quelque chose qui n’est pas très doux, quelque chose qui n’est pas dans la séduction comme la pop peut mieux l’être, quelque chose d’assez rugueux comme peut l’être le hip hop qui est aussi une musique contestataire.
Tu travailles donc déjà à de nouveaux projets de livres…
Oui, j’ai l’idée d’un livre qui s’appellerait Girls Groove où la part serait faite à des femmes d’autres genres musicaux, avec les grandes figures de la soul, du hip hop, du R’n’B ou encore du jazz… Il n’est pas non plus exclu que je traite de la pop dans un Girls Pop, mais je le garde pour la fin parce qu’il sera bien évidemment très long et il faut que mon éditrice se prépare psychologiquement… Je vais donc d’abord me consacrer à Girls Groove qui est un chantier qui m’excite beaucoup !
Illustration de Frédérique Vernillet
Par Laura / Bleu électrique, Elles racontent