13 novembre 2019
Photo de Aurore Chadoin
Aurore est une jeune femme libre qui n’a pas peur de vivre de sa passion. Lorsque je l’ai rencontrée à une soirée, j’ai immédiatement aimé son énergie, son originalité et ses yeux qui pétillent. Aurore a testé un peu par hasard un cours de tango quand elle était étudiante à la fac et elle a eu un véritable coup de foudre pour “l’abrazo” (l’étreinte en argentin) qui correspond à l’enlacement des deux partenaires. Depuis, Aurore n’a jamais cessé de danser et ne vit que pour le tango ! Elle a effectué plusieurs voyages en Argentine pour se perfectionner, elle vient de participer au Festival mondial de tango et elle l’enseigne aujourd’hui à Paris.
Sensualité, puissance physique, technique, synergie, chimie des corps… Je suis allée voir Aurore afin d’en savoir plus sur sa vie de danseuse et sur l’univers si intriguant de la Milonga (le lieu et la soirée où l’on se retrouve pour danser le tango).
Aurore, tu danses le tango depuis plus de 15 ans, peux-tu nous parler de ton parcours ? Comment as-tu réussi à faire de cette passion ton métier ?
C’est la scène de tango sur la musique « Roxanne » dans le film Moulin Rouge qui m’a donné envie de faire du tango. Avec une amie, nous avons vu à la bibliothèque une annonce pour des cours, nous y sommes allées et, dès les premiers pas, j’ai adoré. Je me souviens que je n’ai pas dormi la nuit suivante car je me remémorais tous les pas et, depuis ce premier cours, je n’ai jamais arrêté de danser. C’était assez exceptionnel pour moi car j’avais l’habitude de commencer des trucs et de ne pas les poursuivre après. Je me suis d’abord inscrite à un cours une fois par semaine puis ensuite avec un petit groupe nous allions dans des festivals de tango en Espagne. Un jour, je suis allée voir une amie à Paris et j’ai pris mes chaussures de tango au cas où pour danser. Finalement, pendant cette semaine-là, je n’ai pas beaucoup vu mon amie car j’allais danser le tango tous les soirs jusqu’à pas d’heure. Je suis rentrée de cette semaine à Paris les yeux pleins d’étoiles. A l’époque, j’étais étudiante en Archéologie et histoire médiévale et je n’arrivais plus à bosser, je n’arrêtais pas de penser au tango. Alors en 2007 j’ai décidé d’aller m’installer à Paris et de finir mes études par correspondance.
Finalement, je n’ai pas terminé mes études et je me suis lancée à corps perdu dans la danse. J’ai commencé à donner mes premiers cours comme assistante et ensuite mes propres cours. En 2008, je suis partie une première fois en Argentine à Buenos Aires, puis en 2009 je me suis installée 3 mois là-bas pour me perfectionner. A partir de là, j’ai commencé à voyager pour danser le tango dans des soirées, j’ai rencontré plein de gens, parlé d’autres langues, c’était des moments incroyables. En 2011, j’ai commencé à travailler avec un de mes premiers profs de tango de Buenos Aires, Enzo Hoces. Nous sommes devenus très amis, on a travaillé ensemble pendant 7 ans à Paris, nous avons donné des cours, fait des représentations et aussi des workshops à l’étranger. Et, depuis 2 ans, je travaille avec mon compagnon Sebastian. Nous faisons aussi du tango de spectacle, que les gens connaissent à travers des spectacles comme Tango Pasion. Nous rentrons tout juste d’un voyage d’un an à Buenos Aires.
L’homme et la femme ont des rôles très différents et bien définis. Est-ce que c’est toujours l’homme qui choisit la partenaire avec qui il veut danser ?
Le milieu du tango est super codifié, l’image du tango est plutôt machiste car c’est l’homme qui guide, mais en réalité ce n’est pas vraiment ça. C’est plus comme un dialogue. Nous avons chacun un rôle mais tous nos pas et mouvements se répondent et sont liés les uns aux autres.
Lors des milongas, on pense toujours que ce sont les hommes qui invitent les femmes, mais en fait les personnes qui ont envie de danser ensemble se regardent et chacun est libre d’accepter ou de décliner cette invitation qui est transmise par le regard. C’est très variable car la femme aussi peut être l’initiatrice de ce regard, l’homme peut le soutenir, incliner la tête pour accepter l’invitation ou alors le détourner. Finalement grâce à ces codes il y a beaucoup de respect entre les hommes et les femmes dans le tango. Je pense aussi au mouvement Queer, qui se manifeste dans le tango par un changement de rôles ; les femmes peuvent guider, les hommes suivre, et changer au cours de la danse. On sort de la pratique très genrée, ça suit l’évolution des mentalités, de la société…
« les femmes peuvent guider, les hommes suivre, et changer au cours de la danse. On sort de la pratique très genrée, ça suit l’évolution des mentalités, de la société…. »
Quand je te regarde danser, je vois de la sensualité, de la douceur et en même temps de la puissance. Est-ce que tu peux nous parler de ton rapport avec ton corps et ta féminité ?
Pour danser dans un contexte de soirée de tango, il n’y a pas besoin d’avoir une condition physique particulière. En Argentine par exemple, il y a beaucoup de gens qui dansent le tango jusqu’à 80 ans… Mais oui, dernièrement pour ma part j’ai beaucoup musclé mon corps en salle de sport pour me perfectionner et pouvoir faire plus de mouvements techniques. Le rapport à la féminité dans le tango est très personnel. De mon côté, en dehors du tango, je ne me considère pas comme quelqu’un de très féminin et le tango m’a permis d’aller chercher ça chez moi. Lorsque je danse, je m’habille différemment, je prends le temps de m’apprêter alors qu’au quotidien je suis plutôt en jean baskets sans maquillage.
Quand on fait des soirées, tous les danseurs s’habillent, se parfument, se maquillent, se coiffent… Il y a une part de rêve et de spectacle dans le tango. Il est évidemment beaucoup question d’image aussi, j’ai d’ailleurs appris à me mettre en valeur grâce au tango, à choisir mes tenues en fonction des mouvements et de mon corps. C’est une recherche de soi : comment se sentir bien et aussi comment on a envie d’être vu par les autres lorsqu’on est sur scène (ou sur la piste). C’est intéressant de voir comment chacun chemine, se cherche, se positionne.
Lors d’une conversation un jour tu m’as dit que le milieu du tango était un milieu assez charnel et sexuel. Quand on ne fait pas partie de ce milieu c’est quelque chose d’assez intriguant. Peux-tu m’en parler? N’est-il pas difficile de ne pas éprouver de désir pour les gens avec qui on danse, de ne pas tomber amoureux ?
C’est sûr qu’une telle proximité corporelle est assez troublante. La base du tango est l’abrazo, qui veut dire « se prendre dans les bras pour danser ». C’est ce qui m’a toujours émerveillée d’ailleurs. Le désir pourquoi pas, mais c’est surtout un moment partagé à deux, un dialogue, une synergie. C’est une question de sensation, mais en fait on prend l’habitude de se serrer autant dans les bras, on s’habitue à être aussi proches pour danser. Il y a des gens avec qui tu danses sans rien ressentir, il n’y a pas de feeling malgré le fait que la musique et les mouvements soient intenses et sexy. C’est comme dans la vie, c’est vraiment une question de synergie, de chimie des corps. Il est beaucoup question de peau aussi, toutes les peaux ne se connectent pas.
Mais c’est vrai que ça parle aussi de désir car quand j’ai rencontré Sebastian il y a eu cette attraction et la danse a été comme un vecteur qui a laissé place au désir. On a beaucoup dansé ensemble et nous sommes tombés amoureux. Aujourd’hui je suis en couple (et cela fait très longtemps que je danse), donc quand je sors danser je ressens plutôt un rapport amical avec les autres partenaires, que je vois souvent, qui sont devenus des amis. C’est vrai que ce n’est pas simple pour tout le monde, qu’il y a aussi plein de jalousie dans ce milieu, beaucoup de nanas ou de mecs qui ont du mal à laisser leurs conjoints danser dans les bras de quelqu’un d’autre. Moi j’ai de la chance car je ne suis pas jalouse. Peut-être que c’est dommage de désacraliser le côté pimenté du tango mais je crois après quelques années que cette danse c’est surtout le plaisir du mouvement à deux, de la rencontre, de l’énergie, plus que le plaisir charnel. Mais ça peut aussi être la cerise !
Tu rentres tout juste d’un séjour d’un an en Argentine pendant lequel tu t’es perfectionnée. Comment cela t’a-t-il enrichie en tant que femme et en tant que danseuse?
Je crois que c’est la première fois de ma vie que j’ai consacré autant d’énergie et de temps à quelque chose, je n’avais jamais autant travaillé. C’était hyper soutenu et intense, on a pris beaucoup de cours de danse mais on a aussi fait un gros travail physique. On s’est préparés pour les compétitions et le mondial qui avait lieu là-bas. On n’avait jamais fait de tango de scène destiné au public, jusqu’à maintenant on faisait plutôt du tango de piste, intimiste. On a dû travailler sur la façon d’habiter nos corps, sur des personnages, on a dû se dépasser, c’était un vrai challenge. Pour notre couple aussi c’était un challenge, il a fallu apprendre à gérer les moments d’euphorie, les tensions, mais aussi les moments de fatigue…
J’ai énormément appris sur moi pendant ce séjour, je n’étais pas toujours très fière de mes réactions. J’ai un sale caractère (rires) donc je travaille sur ça…Il y a eu des moments de joie où on se disait que c’était incroyable de vivre ça mais aussi des moments très difficiles, de désespoir. C’est tellement de travail. Être à deux a été une force dans ces moments-là car on se remontait le moral. C’était dur parfois mais c’est vraiment une chance d’avoir pu faire ce qu’on aime pendant une année, c’est à dire danser.
Quels sont tes futurs projets ?
En juin nous aimerions repartir en Argentine pour participer de nouveau au mondial et réussir à être mieux placés que l’année dernière. Sur 550 couples participants, nous sommes arrivés 230ème. Pour une première fois on était contents, mais on aimerait faire mieux.
Qui sont les femmes qui t’inspirent ?
Ce sont souvent mes amies, je trouve que j’ai des amies incroyables, qui luttent pour être en adéquation avec leurs envies, leur manière de voir la vie. J’ai évidemment tout de suite une pensée pour ma pote Delphine car elle a justement sa propre pensée, elle arrive à sortir des cadres, à se tailler un chemin vers la vie qu’elle veut ce qui n’est pas toujours facile. Je pense aussi à ma mère. Ça ne m’arrange pas, mais elle a très souvent raison !
Quelle est la couleur dont tu aurais du mal à te passer ?
Je suis toujours attirée par les demi-teintes comme les ocres, les terres, les couleurs entre deux. Ça doit être mon côté balance qui fait que je n’ai pas envie de choisir, je me sens plus à l’aise avec les compromis je crois.
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Par Estelle / Elles racontent, Rouge Piment