4 septembre 2019
Crédit : Règles Élémentaires
Depuis sa création en novembre 2015 par Tara Heuzé-Sarmini, Règles Élémentaires aide les plus démunies à se protéger et à rester dignes. Il s’agit en effet de la première association française de collecte de produits d’hygiène intime à destination des femmes sans-abri et mal-logées.
#StopPrecariteMenstruelle
On a eu envie de rencontrer Tara pour en savoir plus sur la genèse d’une association qu’elle a créée alors qu’elle n’avait que 21 ans et était encore étudiante à SciencesPo. Une association qui a réussi la collecte et la redistribution de plus d’un million de protections menstruelles depuis sa création, grâce à un système facile d’accès qui permet à chacun d’organiser sa propre collecte mais aussi grâce à un maillage territorial faisant le lien avec des travailleurs sociaux expérimentés. Une association qui contribue à briser le tabou qui entoure les règles en étant présente dans l’espace médiatique, sur les réseaux sociaux et en travaillant avec les pouvoirs publics. Une association au fonctionnement moderne, innovant et efficace qui donne envie de s’engager et de participer à la prise de conscience des enjeux liés à la précarité menstruelle mais aussi de l’importance d’un sujet sociétal qui n’est pas qu’une affaire de femmes.
Tara, tu as lancé la première campagne de Règles Élémentaires en novembre 2015 avant de fonder l’association du même nom quelques mois plus tard en avril 2016. Peux-tu nous parler de ton parcours et de la genèse de ton association ?
Je suis Française, j’ai grandi à Paris, mais dans une famille assez internationale avec laquelle j’ai eu la chance de voyager et de vivre à l’étranger. C’est donc tout naturellement que j’ai passé une partie de mes études à l’étranger, en Russie dans le cadre de ma troisième année à SciencesPo, mais aussi en Angleterre où j’ai fait un master. Dans l’université dans laquelle j’étudiais, j’ai été sollicitée pour participer à une collecte de produits d’hygiène intime qui était organisée pour les femmes SDF de la ville. J’ai donc pris conscience de ce phénomène, tout en réalisant que je ne m’étais jamais demandé comment les femmes dans le besoin géraient leurs règles. En revenant vivre à Paris en 2015, j’ai commencé à en parler autour de moi, à de la famille, à des amis, mais aussi à des professionnels de santé, des psychologues, des gynécologues, et la réponse était unanime : tout le monde me disait ne s’être jamais posé la question non plus.
Tara, Fondatrice de Règles Élémentaires
Je me suis donc dit qu’il y avait deux explications possibles : soit il n’y avait pas de besoin et c’était parfaitement pris en charge, soit il y avait un énorme tabou sur le sujet. J’ai contacté les acteurs spécialisés dans le « sans-abrisme » et le mal-logement, comme le Samusocial de Paris et différents foyers d’hébergement et la réponse était sans appel. Tous manquaient de ces produits, ils n’avaient aucun stock, ils disaient que quand ils cherchaient à en obtenir cela leur demandait beaucoup trop d’efforts pour trop peu de résultats. J’ai alors décidé de mettre mon enthousiasme et ma motivation au profit de cette cause et de faire bénéficier ces organismes de ces produits. En effet, depuis le début, la redistribution est assurée par des travailleurs sociaux parce qu’on ne veut pas démultiplier les guichets d’accueil pour les femmes dans le besoin et pour des questions éthiques car la redistribution de produits d’hygiène intime est un sujet complexe qui a trait à l’intimité des gens. Il est donc important pour nous de travailler en partenariat avec des associations établies et spécialistes du « sans-abrisme » et du mal logement pour toutes ces raisons : ne pas multiplier les points de contact, respecter l’intimité des gens et créer un dialogue sain et vertueux sur l’hygiène menstruelle et la santé reproductive.
Comment votre action s’organise-t-elle concrètement ?
Très concrètement, la toute première collecte s’est organisée avec trois bouts de ficelle, sur une table à SciencesPo, avec des bénévoles de l’association Paris Solidaire qui m’ont aidée. J’avais lancé cette première collecte en novembre 2015 complètement par hasard mais il s’est avéré que c’était entre les deux examens de la loi sur la taxe dite « taxe tampon » qui entérinait l’abaissement de la TVA sur ces produits. Cette loi a fait prendre conscience du coût de ces produits qui étaient jusqu’alors taxés comme des produits de luxe et pas comme des produits de première nécessité. C’était les balbutiements de la prise de conscience sur la précarité menstruelle. Notre première collecte a donc été un succès car les gens ont été très sensibles à notre démarche, bien au-delà des frontières de SciencesPo. On a reçu des dons de la France entière, des DOM-TOM, c’était assez fou. J’ai donc voulu pérenniser l’action et on est devenus une Association loi de 1901 en avril 2016.
Organiser une collecte c’est parler du sujet à ses proches, à ses amis, à ses collègues, dans son entourage, ce qui contribue à la prise de conscience et à briser le tabou des règles.
Et à partir de ce moment-là, de nombreuses personnes ont voulu s’associer à notre démarche partout en France. On a donc très vite mis en place un système de collecte décentralisé. Au début, il fallait nous envoyer un mail et signer une charte de partenariat. Mais aujourd’hui, tout se fait en ligne, c’est très simple, ça prend environ 5 minutes. N’importe qui peut donc organiser une collecte et c’est vraiment très important pour nous. Parce qu’organiser une collecte c’est parler du sujet à ses proches, à ses amis, à ses collègues, dans son entourage, ce qui contribue à la prise de conscience et à briser le tabou des règles. Cette facilité à organiser une collecte fait que nous sommes aussi bien contactés par des retraités que par des scouts, par des employés de supermarché que par des dirigeants d’entreprise, par des mairies que par des ministères. Il suffit de nous indiquer les dates, les horaires et l’adresse de la collecte, et en échange nous fournissons tout le matériel de communication, des affiches, des supports, des boîtes à dons … Puis, où que vous soyez en France mais aussi en Belgique et bientôt en Suisse, on vous met en relation avec un partenaire redistributeur. En tant que collecteur au nom de Règles Élémentaires, vous vous engagez à ne pas redistribuer vous-même et à passer par notre maillage territorial de spécialistes du « sans-abrisme » et du mal-logement. C’est vraiment essentiel pour nous que n’importe qui puisse organiser une collecte, aussi bien des collégiens que des entreprises du CAC 40, parce que notre mission est vraiment double : c’est à la fois collecter et redistribuer un maximum de produits, mais aussi briser le tabou des règles.
Quelles sont les différentes manières de s’engager avec Règles Élémentaires ?
On peut s’engager en faisant des dons dans nos nombreux points de collecte, en organisant une collecte, en rejoignant l’équipe de bénévoles, en organisant un partenariat ou en nous soutenant financièrement. Pour le moment, nous ne sommes soutenus que par des dons de particuliers, nous n’avons pas de financement institutionnel.
Crédit : Règles Élémentaires
Comment s’organise l’équipe de bénévoles ?
Nous sommes 25 bénévoles et une salariée depuis le mois d’avril. Moi j’ai créé Règles Élémentaires en tant qu’étudiante, j’ai toujours été bénévole pour la structure et j’ai fait le choix de le rester. Je n’ai pas envie d’en faire mon métier. Je pense que je resterai toujours impliquée à un niveau symbolique et stratégique, mais je n’ai plus envie de faire de l’opérationnel au quotidien car il est temps que le projet soit dissocié de ma personne.
Toute l’équipe est répartie dans 6 antennes locales. On a Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg et depuis peu Bruxelles. On va sans doute prochainement ouvrir Nantes, Lille, Toulouse et Genève. Les antennes sont créées quand on est sollicités par les pouvoirs publics et qu’on estime nécessaire d’avoir quelqu’un qui soit le relai sur place pour participer à des conférences, des événements de sensibilisation, des ateliers dans des écoles. Les gros pôles urbains sont donc naturellement plus actifs, mais pour organiser une collecte vous pouvez être n’importe où en France, en Belgique, en Suisse et peut-être à terme dans d’autres pays francophones. On a des gens pour vous soutenir dans la démarche.
Bénévoles de Règles Élémentaires
Vous travaillez avec de nombreux partenaires pour la redistribution des produits. Quelle est la situation en France aujourd’hui ? Combien y a-t-il de femmes en situation de précarité pour lesquelles votre action est essentielle ?
Le dernier sondage le plus à jour et le plus juste est sans doute celui de l’IFOP, à la demande de Dons Solidaires, qui estime à 1,7 million le nombre de femmes touchées par la précarité menstruelle, qui ont des difficultés économiques soit à s’acheter les produits qu’elles veulent, soit à s’acheter suffisamment de produits, soit à s’acheter des produits tout court. Plus globalement, il y a pratiquement 8% de femmes en France qui vivent sous le seuil de pauvreté. Ce sont donc des femmes dont le budget va vraiment être grevé par l’achat de ces produits, des femmes qui vont peut-être devoir choisir entre manger et s’acheter des protections menstruelles.
« L’IFOP estime à 1,7 million le nombre de femmes touchées par la précarité menstruelle, qui ont des difficultés économiques soit à s’acheter les produits qu’elles veulent, soit à s’acheter suffisamment de produits, soit à s’acheter des produits tout court. »
Lors de la création de l’association, notre public cible était vraiment les femmes SDF. Et la dernière étude de l’INSEE sur les SDF date de 2012 avec des données de 2011. Aujourd’hui, on n’a donc aucune source officielle sur le nombre de SDF en France. On sait juste que les femmes représentent près de 50% de la population SDF en Île de France, 40% sur la France entière, que c’est un chiffre qui grandit et que la crise des migrants est aussi une crise de femmes et d’enfants qui affluent parce qu’ils quittent leurs pays.
On ne sait pas précisément combien de femmes sont SDF aujourd’hui. Il y en a peut-être 100 000, peut-être 150 000, peut-être 200 000. On sait juste que les besoins augmentent. Ils augmentent aussi probablement parce que Règles Élémentaires et d’autres collectifs, d’autres associations, d’autres énergies positives, ont permis de faire prendre conscience du problème et aussi de libérer les paroles parce qu’il y a beaucoup de gens aujourd’hui, de petites structures, qui osent demander ce type de produits, alors qu’avant c’était inenvisageable. Les besoins se chiffrent donc à plusieurs millions de produits hygiéniques jetables par an. Il y a plusieurs centaines de milliers de femmes qui ont besoin de nous ou en tous cas d’une action coordonnée pour sortir de la précarité menstruelle.
« Il y a plusieurs centaines de milliers de femmes qui ont besoin de nous ou en tous cas d’une action coordonnée pour sortir de la précarité menstruelle. »
Je sais que ton plus grand souhait n’est pas que l’association se développe mais qu’elle n’ait plus besoin d’exister. On est encore loin de cet objectif puisqu’il Il faudrait pour cela que toutes les femmes aient accès aux protections menstruelles, mais la prise de conscience récente des enjeux liés aux règles te donne-t-elle l’espoir que l’association n’ait plus de raison d’être à plus ou moins long terme ?
Le gouvernement a annoncé des mesures. On travaille avec eux, on est auditionnés par le Sénat et l’Assemblée Nationale pour réfléchir aux meilleurs moyens de lutter contre la précarité menstruelle parce qu’il y a plusieurs types de personnes qui en sont victimes. Il y a les femmes SDF, mais parmi elles il y a de très grandes variations entre les femmes sans-abri qui vivent à la rue et les femmes sans domicile fixe qui vont de famille en famille, de foyer en foyer, de centre de réinsertion en centre d’hébergement. Il y a aussi les mères célibataires qui ont du mal à boucler les fins de mois et qui vont aller aux Restos du Cœur. Il y a des étudiantes qui ont peu de moyens. Il y a des collégiennes et des lycéennes qui viennent de familles où c’est encore très tabou de parler des menstruations et qui n’osent donc pas en parler même si leurs familles ont peut-être les moyens de leur acheter des produits. Il y a vraiment une très grande diversité et pas de solution miracle. La solution miracle n’est pas que 100% des produits soient remboursés par la Sécurité Sociale car il y a des femmes qui sont dans les circuits officiels et des femmes qui sont hors des circuits. Il y a un faisceau de solutions et on essaie de développer des expérimentations à l’échelle nationale avec le gouvernement pour faire avancer les choses. Le problème est donc loin d’être résolu mais le chemin parcouru est impressionnant et aujourd’hui, je pense qu’au-delà de la collecte et de la redistribution de produits, nous avons et garderons une réelle raison d’être sur le volet de la sensibilisation.
Quelles actions de sensibilisation mettez-vous en place ?
On est souvent invités à des tables rondes auxquelles nous participons avec grand plaisir. On est invités par des mairies, mais aussi par des entreprises qui nous sollicitent autour de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars ou de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre. On travaille avec différents partenaires, avec GINA par exemple, la marque de protections hygiéniques de My Little Paris, avec qui on a organisé une conférence sur comment lutter contre la précarité menstruelle à son échelle dans le pop-up qu’ils avaient créé pour l’occasion.
Et depuis notre 3e anniversaire en novembre 2018, on organise des apéros menstruels aux Grands Voisins où nous sommes installés. Aujourd’hui c’est un événement trimestriel mais on espère pouvoir passer à un rythme mensuel une fois que nous aurons plus de ressources humaines et financières. C’est très informel, les gens viennent boire une bière, discuter avec les membres de l’équipe, acheter un t-shirt, danser entre 19h et minuit. C’est donc plutôt sympa et ludique comme format et c’est ouvert à toutes et à tous, ce dont nous sommes assez fiers car beaucoup de garçons viennent. Notre équipe est d’ailleurs une équipe mixte puisque nous sommes 25 avec 4 garçons.
Photo des Apéros menstruels aux Grands Voisins
Crédit : Règles Élémentaires
On est également très sollicités par des écoles, que ce soit par des élèves qui veulent organiser des collectes ou par des professeurs qui veulent organiser des collectes avec leurs élèves et nous demandent de venir inaugurer la collecte et d’expliquer les fondements de l’association. Nous sommes aussi sollicités par des élèves pour parler du sujet parce qu’il y a un réel besoin d‘information et d’accès à l’information dans l’Éducation Nationale. On n’y parle pas du cycle menstruel de l’humain, ou alors très tardivement dans le cycle scolaire alors qu’aujourd’hui l’âge moyen des ménarches est à 12 ans et demi. On a des cours d’éducation sexuelle à l’école qui nous montrent comment mettre un préservatif mais on ne montre pas à une jeune fille ou à un jeune garçon comme utiliser des tampons et des serviettes. Ces demandes en informations expliquent que nous accueillons depuis quelques mois une gynécologue en résidence qui a produit du contenu pédagogique grâce auquel nous allons animer nos premiers ateliers à la rentrée.
« On a des cours d’éducation sexuelle à l’école qui nous montrent comment mettre un préservatif mais on ne montre pas à une jeune fille ou à un jeune garçon comme utiliser des tampons et des serviettes… »
Avez-vous d’autres projets de développement futurs ?
Nous allons ouvrir des antennes dans de nouvelles villes. Nous allons mettre en place ces ateliers pour les écoles, mais aussi des ateliers d’information et de formation sur les protections hygiéniques réutilisables pour les femmes bénéficiaires. Au-delà de l’aspect écologique et d’une meilleure qualité de produits, ça permettrait aussi de mettre fin à la dépendance aux dons de ces femmes qui sont en situation d’extrême précarité, parce qu’une coupe menstruelle dure en moyenne entre 10 et 15 ans, une serviette lavable dure 3 ans, une culotte menstruelle dure 5 ans … Et si on pouvait ôter à ces femmes ce souci de la tête au quotidien pendant plusieurs années, ce serait formidable. Mais ces protections ne sont évidemment pas accessibles à toutes les femmes en situation de précarité parce que ça ne fonctionne pas si vous êtes dans la rue et que vous n’avez pas accès régulièrement à un point d’eau. Mais on travaille avec quelques partenaires très à l’écoute et très innovants qui sont d’accord pour sensibiliser en interne leurs bénéficiaires et les faire participer à des ateliers sur la base du volontariat pour leur présenter ce qui existe. De notre côté, on fournira les produits et le contenu explicatif et pédagogique développé par notre gynécologue en résidence pour qu’à la fin de la session ces femmes puissent repartir avec les protections hygiéniques réutilisables de leur choix.
Nous allons aussi devoir pérenniser l’association et pour cela on va avoir besoin de lever des fonds parce qu’aujourd’hui on a des partenariats avec des entreprises du CAC 40, des start-ups de Station F, on gère des centaines et des centaines de partenariats, institutionnels, industriels, corporate, mais à un moment donné il faut disposer des ressources qui vont avec ce type d’engagements.
Et, comme projets, on aimerait aussi faire un micro-trottoir et peut-être une campagne d’affichage. On est très actifs sur les réseaux sociaux mais on n’a pas encore entrepris ce genre d’actions coup de poing qui font prendre conscience du tabou et de l’importance du sujet, qui est un sujet sociétal et pas un sujet de nanas. L’idée étant toujours qu’ensemble nous pouvons changer les règles.
@regleselementaires
Crédit : Règles élèmentaires
Par Laura / Elles s'engagent, Orange Pulsion